Interview

Avec le MPF, ça change en IdF

Joël de Bailliencourt, père de famille nombreuse, chef d’entreprise, Conseiller municipal de Versailles, a été élu Conseiller régional de l’Ile-de-France en mars 1998. Près d’un an plus tard, il nous parle de l’action qu’il y conduit. (Propos recueillis par Didier Reynes).

DR – Joël, comment fonctionne le conseil régional dans notre région ?

JdB – Le conseil régional est composé d’un exécutif : le Président et les vice-présidents – tous issus de la gauche plurielle, de commissions thématiques dans lesquelles siègent les élus en fonction de leurs compétences – toutes présidées par la gauche, ainsi que de la commission permanente qui représente l’assemblée. Celle-ci est élue à la proportionnelle et constitue donc un contre-pouvoir de l’exécutif, car il ne faut pas perdre de vue que la droite est majoritaire en Ile-de-France.

DR – Peux-tu nous expliquer comment s’organise ce contre-pouvoir de la majorité ?

JdB – L’exécutif fait des propositions d’orientation – il s’agit essentiellement de proposer un budget – qui sont soumises au vote de l’assemblée. Comme la droite est majoritaire, le budget ne peut être adopté. En fait, il est voté article par article, avec les amendements de la droite, qui recueillent le plus souvent la majorité, bien entendu. Le budget voté est donc plus ou moins un budget de droite.

DR – Ce qui veut dire que l’exécutif socialiste est contraint par l’assemblée à faire une politique de droite ?

JdB – Mieux encore, si au départ, l’exécutif présentait un vrai budget de gauche, il prendrait le risque d’un rejet total, et serait donc poussé à employer obligatoirement le " 49-3 régional " pour passer en force. Non seulement cela finirait par l’affaiblir politiquement, mais en plus, dans le cas de l’utilisation de cette loi, c’est le budget amendé et voté article par article qui serait appliqué, et non le budget présenté initialement. Voilà pourquoi, pour éviter un tel revers, le budget présenté par les socialistes n’est pas vraiment un budget de gauche.

DR – Et la commission permanente dans tout cela ?

JdB – C’est l’étape suivante. Une fois le budget voté ou le 49-3 engagé, l’engagement de dépense est décidé projet par projet par la commission permanente. Elle est donc libre d’accepter ou non d’engager telle ou telle dépense que propose l’exécutif. En Ile-de-France, la droite, majoritaire dans cette commission, empêche les socialistes de lancer n’importe quel projet à n’importe quel prix. La commission permanente a donc une fonction de contrôle.

DR – Joël, si la majorité est à droite, pourquoi l’exécutif est-il à gauche ?

JdB – On a là une illustration de l’hypocrisie des partis politiques traditionnels qui excluent le Front National de la vie politique française, tout en se servant de lui pour être une opposition majoritaire. Mais cette attitude n’est pas médiatisée, contrairement à l’élection des présidents de conseils régionaux.

DR – Au sujet du FN, justement, son éclatement va-t-il changer la donne en Ile-de-France ?

JdB – Tout à fait. L’éclatement du FN va radicalement changer la situation politique. Nous avions à gauche quatre groupes politiques (écologistes, socialistes, communistes et chevènementistes) ainsi que trois élus non-inscrits de Lutte Ouvrière, et à droite, trois groupes (RPR et apparentés dans lequel siègent les trois élus MPF, UDF et apparentés, et FN) ainsi que quatre non-inscrits. Aujourd’hui, nous avons un groupe FN (canal historique) et un groupe FN-MN, et les élus DL se sont séparés du groupe UDF. Nous avons donc à la faveur de cet éclatement, le risque que la région ne soit plus gérée, ou plutôt " contre-gérée " par la droite.

DR – Les socialistes doivent se frotter les mains …

JdB – Ils se lancent dans la brèche, par exemple en votant quelques amendements de l’UDF en commission pour mieux semer la zizanie à droite. C’est la stratégie qui leur a réussi récemment en région Rhône-Alpes. M. Huchon pourrait donc prochainement faire passer son budget de gauche, mais il est difficile d’évaluer cela aujourd’hui. Nous verrons à la prochaine session. Actuellement, nous essayons de recoller les morceaux, par le biais de l’intergroupe RPR-apparentés et DL qui voteront unanimement. Mais ce n’est pas suffisant. Il faudrait que le FN-MN ait la même attitude.

DR – Y a-t-il quand même un espoir de voir la droite revenir à la direction de la région ?

JdB – Le résultat des prochaines élections va décider de l’avenir du FN-MN. Si M. Mégret échoue, son parti risque d’être anéanti. Que vont devenir ses élus ? Une alliance est-elle possible avec le RPR et l’UDF ? Si c’est le cas, alors il est possible de renverser Huchon et tous les socialistes en mars 2000.

DR – Joël, les trois élus MPF sont les apparentés du groupe " RPR et apparentés ". Comment se passe la cohabitation ?

JdB – Le MPF adhère aux objectifs politiques des groupes de droite, mais nous gardons notre liberté de vote. Même par rapport aux propositions du groupe RPR, nous gardons une rare liberté de choix. En réalité, nous avons un rôle d’aiguillon de la droite, car, comme cela ferait mauvais effet que les trois conseillers MPF votent différemment du RPR, il nous est arrivé d’obtenir des élus RPR de modifier leur vote.

DR – Par exemple ?

JdB – Par exemple nous avons été d’accord avec le RPR pour nous opposer au lancement d’un emprunt destiné à financer la rénovation des lycées. En revanche, parfois, un amendement présenté par le FN nous semble d’intérêt général. Dans ce cas, on peut demander au RPR de se rallier à notre vote. Voilà comment on pèse en politique : en montrant sa différence et non pas en trahissant ses convictions pour tenter de trouver à tout prix des convergences.

DR – Vos partenaires du RPR témoignent donc de beaucoup de respect pour le MPF …

JdB – C’est vrai. Voilà pourquoi les trois élus du MPF ouvriront la discussion générale au nom du groupe RPR et apparentés, chacun au titre d’une commission.

 

DR – Mais cela ne traduirait-il pas un certain manque de courage de la part du RPR ? Ne fait-on pas exprès d’envoyer les élus MPF batailler contre le PS ?

JdB – Non, je ne crois pas. Il me semble que c’est plutôt par sympathie et même par équité. Les élus MPF ont une réputation de sérieux. Nous sommes des membres particulièrement actifs du groupe, nous sommes écoutés et même entendus, nous sommes appréciés par rapport à ce que nous représentons.

 

DR – Le fait même d’être du MPF suscite de la sympathie ?

JdB – Oui, parce nous sommes en dehors des partis et du système politique traditionnels. Nous défendons les intérêts de la région Ile-de-France, l’intérêt commun des franciliens. Cela tout le monde le reconnaît. Voilà pourquoi nous ne sommes pas considérés comme une ultra-minorité, même si nous sommes peu nombreux.

 

DR – Parlons maintenant des commissions. Dans lesquelles sièges-tu ?

JdB – Je siège à la commission des marchés publics, à la commission du développement économique et à la commission de recours de discipline de la petite couronne.

 

DR – Quelle est cette dernière commission et pourquoi en es-tu membre ?

JdB – Il s’agit d’une commission chargée de régler les différents entre les collectivités publiques et leurs fonctionnaires. On y trouve des représentants des maires, du Sénat, du Conseil régional et des conseils généraux, ainsi que de tous les syndicats. Cette commission fonctionne un peu comme les prud’hommes. On m’a demandé d’y siéger pour la rigueur de mes engagements.

 

DR – Quel rôle joues-tu dans la commission des marchés publics ?

JdB – J’y apporte le regard du chef d’entreprise. Ce qu’il faut dire sur cette commission, c’est que, par la passé, le Conseil régional a mis en place une procédure dite des METP, qui consiste à organiser des marchés négociés, en limitant le recours à des appels d’offres ouverts. C’était plus simple, mais aussi moins transparent. Une fois aux affaires, la gauche a rétabli les appels d’offres et c’est une bonne chose. Le problème est que ce mode de fonctionnement est très lourd.

 

DR – C’est à dire ?

JdB – Par exemple, nous avons lancé un appel d’offres pour un audit de rénovation de 74 lycées, et nous avons reçu 750 offres ! Quand on sait qu’il y a 500 lycées à rénover, cela promet de beaux jours à notre commission ! Le point positif, c’est que la transparence sur les marchés publics est totale.

 

DR – C’est donc beaucoup de travail et beaucoup de routine ?

JdB – De routine, non. Nous avons un objectif qui est de changer la mentalité des différents intervenants, qui ont eu, par le passé, l’habitude de travailler avec certaines entreprises, et qui ont de ce fait tendance à orienter nos choix. Il faut bien comprendre que la commission est en bout de chaîne et que nous ne sommes pas des spécialistes de tout. Nous devons par conséquent nous concerter avec les services. Voilà pourquoi nous avons le projet de leur expliquer notre rôle pour les responsabiliser dans leur travail préparatoire. Pour l’instant, il y a une certaine méfiance de leur part.

 

DR – Les électeurs aussi se méfient. Comment leur montrer que la transparence existe ?

Il faut savoir que toutes les tendances politiques sont représentées dans cette commission, et que chaque membre a été choisi pour sa réputation d’intégrité. Il y a beaucoup de respect entre nous. La meilleure preuve est que les décisions de la commission sont souvent votées à l’unanimité de l’assemblée.

 

DR – Tu sièges aussi à la commission du développement économique …

JdB – Oui, et j’en suis le rapporteur auprès du groupe RPR et apparentés. Nous avons un rôle important à jouer dans cette commission, en particulier en nous opposant à ce que les budgets affectés au développement économique soient destinés au financement d’études.

 

DR – Le chef d’entreprise que tu es parles avec son cœur !

JdB – C’est vrai. Il faut savoir que le conseil régional s’est retrouvé avec un pactole à distribuer. Entre contrats de plan, formation professionnelle, culture, développement économique, etc., on ne savait plus comment dépenser. Comme on ne peut pas donner d’argent directement aux entreprises, on l’a donné à des associations ou des organismes de conseil, qui rédigent des rapports aussi inutiles que coûteux et que personne ne lisait.

 

DR – Tu es plutôt sévère …

JdB – Certains organismes ont leur utilité, mais il faut tout remettre à plat, pour affecter les fonds à la nécessité du développement économique. Voici un autre exemple : il y a un financement des entreprises à travers le FRAC, que nous ne souhaitons pas remettre en cause. Mais d’autres financements servent à faire évoluer les entreprises au travers d’une démarche qualité. Pour en bénéficier, les entreprises doivent faire obligatoirement appel à des organismes de conseil. Et ce sont ces organismes qui vont toucher les fonds de la région. Tout cela bénéficie aux entreprises, bien entendu, mais certaines sociétés de conseil vivent complètement de cet argent. Le MPF souhaite donc travailler à la réduction des gaspillages et à une meilleure répartition des fonds.

DR – Le MPF a-t-il les moyens de travailler dans ce sens ?

JdB – Bien sûr. Voici une action qui va aboutir : le développement économique est très axé sur l’export, car le conseil régional finance des sociétés de conseil en export, sans que les entreprises concernées n’en profitent directement. Voilà pourquoi je vais déposer un amendement pour permettre au conseil régional d’aider les entreprises de la région à être présentes sur les foires et salons internationaux qui se tiennent à Paris. Ce financement sera directement versé aux entreprises par le biais des chambres consulaires, et non plus aux conseils, il restera donc ainsi contrôlé par le conseil régional.

DR – Et cet amendement va être adopté ?

JdB – Oui. C’est vrai qu’il suscite des interrogations, car supprimer les intermédiaires traditionnels change les habitudes, mais malgré le rejet du PS, il devrait être adopté. n